Aquarelle de Philippe Dumas qui clôt les 543 pages du dernier livre de Marie-Aude Murail "Miss Charity", publié à l'Ecole des Loisirs : zut, déjà fini ? Je ne vais plus me trimballer partout ce pavé de 1,2 kg dans mon sac, des fois que je pourrais en déguster un petit bout au milieu de la journée ? Il va me falloir réapprendre à vivre sans cette petite dose de bonheur à me transfuser au quotidien ! Permettez-moi de jouer encore un peu les prolongations en recopiant ici quelques extraits qui concernent des fêtes.
Dans les brumes d'un demi-sommeil entre 6 et 7 heures du matin un samedi sur France Inter, j'avais entendu un libraire, Philippe Touron, recommander ce livre. Coïncidence, la semaine suivante, ce livre était exposé à la caisse de la librairie Le Divan, 203, rue de la Convention. La jeune caissière, enthousiaste, me dit que c'est elle qui en avait suggéré la lecture à son patron qui passe à la radio. Moi, en face d'elle, je me souvenais avec un pincement au cœur du bon temps où je dévorais des tas de Je Bouquine de Marie-Aude Murail grâce aux enfants et je me désolais de ne plus avoir de jeune ado dans mon entourage qui servirait de prétexte à cet achat.
Jusqu'au moment où je décidai d'assumer : je me l'achèterai pour moi puisque Marie-Aude Murail est une femme que j'aurais volontiers prise comme modèle si j'avais été écrivain.
Le sujet
Miss Charity, c'est une petite fille sensible et originale de la société victorienne dont on suit l'itinéraire jusqu'à être une femme autonome et talentueuse dans un monde où l'unique perspective aurait été de se marier.
Elle vit extrêmement isolée, avec pour seule compagnie sa bonne écossaise (ravagée), sa gouvernante française (qui deviendra son amie et lui enseignera l'aquarelle dont elle fera son métier ) et tous les animaux (rat, hérisson, corbeau, crapaud) qu'elle recueille, sujets des livres qui feront sa fortune.
Cette enfant, inspirée de l'illustratrice Beatrix Potter, est extrêmement attachante, ceci d'autant qu'elle est en butte avec la société anglaise de la fin du XIXème, très bien reconstituée avec son sexisme, ses hypocrisies, ses écrivains, ses musées, etc....
Le style de Marie-Aude Murail
C'est un enchantement à chaque ligne : simple, alerte, souvent reporté sous forme de dialogues comme dans une pièce de théâtre, enjoué et débordant d'humour. Le récit est mené à la première personne, Charity étant son premier sujet de dérision.
La littérature pour jeunes
Ce livre respecte les conventions du genre qui ravissent les lecteurs romanesques : une fin heureuse, une héroïne intrépide, qui conquiert son indépendance grâce à son intelligence et à sa persévérance, à l'amour fantasque de son amoureux d'enfance et au soutien d'amis inconditionnels .
Mais je l'ai aimé pour une autre raison. On y croise aussi toute la palette des souffrances humaines (les deuils, la jalousie, l'hypocondrie d'une mère, l'indifférence du père qui aurait préféré un fils, l'ennui, un avortement, la folie, l'homophobie, j'en passe, et des meilleures) mais chaque fois traitées avec une pudeur et une tendresse infinies.
Autre aquarelle de Philippe Durand qui a illustré magistralement tout le livre
Trois extraits
Noël
Quant à
Noël, il ne m'était pas encore venu à l'idée qu'il pût s'agir d'une
fête. Papa et Maman arboraient le jour de Noël un air grave et résolu
comme s'ils étaient bien décidés à en venir à bout comme des autres
jours de l'année.
Les anniversaires
Mes jours anniversaire comportaient autant de porridge et de gâteau de riz que les autres. La seule différence, c'était qu'on me conviait au salon pour le dîner. Maman expliquait alors à papa la raison de ma présence. "Charity a six ans", "Charity a sept ans". "Charity a huit ans".
Le jour de mon dix-huitième anniversaire, je me souvins des lettres que je m'écrivais autrefois et je décidai de m'en adresser une pour quand j'aurai vingt ans.
Chère amie, vous avez vingt ans, le plus bel âge de la vie, dit-on ! Vous faites des efforts pour porter la toilette et, comme vous prenez de l'exercice, à défaut d'être belle, vous êtes fraîche et rose. Vous êtes à l'aise en société, mais n'oubliez pas que c'est dans la solitude que mûrit le talent. Vous venez de vous inscrire aux cours de la Royal Academy car, c'est décidé, vous serez peintre. Votre coeur reste à conquérir. Mais peut-être connaissez-vous déjà celui que nous aimez.
Je rayai ces derniers mots et les remplaçai par : celui qui vous aimera. Puis je signai et je glissai ma lettre dans une enveloppe sur laquelle j'écrivis " à ouvrir quand j'aurai vingt ans." Curieusement, il ne me vint pas à l'idée que maman, si je lui parlais de m'inscrire à la Royal Academy aurait une attaque de nerfs, ni que papa me réciterait : "l'homme au champ et la femme au foyer, l'épée pour l'homme et l'aiguille pour elle". Et très certainement pour l'homme le pinceau et pour moi le balai qui est somme toute un pinceau amélioré.